Longtemps plébiscité comme le meilleur système économique et social au monde, le capitalisme semble aujourd’hui profondément remis en cause. Ses dérives font peser sur l’humanité un risque certain, et peut-être imminent, de naufrage écologique. Des voix s’élèvent pour dénoncer un modèle pervers qu’il importe de redéfinir au plus vite. Les super prédateurs sont de plus en plus montrés du doigt. Dans son livre Le capitalisme de la séduction, critique de la social-démocratie libertaire, sorti en 1981, Michel Clouscard nous parlait déjà de civilisation machinale, un clin d’œil à l’emprise des machines sur notre société autant qu’à la mécanisation de nos comportements. Un bref aperçu de la pensée de l’auteur vous est proposé dans le présent billet.
La civilisation de la machine
Il n’est point nécessaire de rappeler l’importance des machines dans notre société actuelle. Absolument tous les aspects de la vie sociétale semblent se soumettre à l’animation machinale. Ce constat est d’autant plus vrai et inquiétants avec les progrès technologiques de ces dernières années qui convergent tous vers un idéal : la création d’un humain aux capacités illimitées.
Pour Clouscard, le mal est hérité de la perversion idéologique dont se nourrit notre civilisation capitaliste. Cette dernière reposerait en effet sur le culte du progrès et sur l’avilissement moral. La conception béate du progrès comme l’idéal de la société industrielle corrompt les esprits et n’admet de développement que par les moyens de la production capitaliste.
Selon l’auteur, le libéralisme avancé promu par la civilisation capitaliste conduit inévitablement vers une social-démocratie libertaire, une dérive que le culte du progrès miroite parfaitement. Pourtant, les conclusions sont évidentes. Des années de productivisme effréné et de machinisme à outrance ont résulté en pollutions et nuisances.
La société de la consommation est à bout de souffle et plus que jamais contestée. Dans plusieurs foyers du monde, une révolte se prépare. Menée par les mouvements anti-productivistes, anticonsuméristes et écologistes, elle milite pour « le degré zéro de croissance, l’écologie, la lutte contre les centrales atomiques ». Clouscard appelle à « inverser les thèses qui fondent la civilisation capitaliste », celle-là qui pousse « à la consommation libidinale, ludique, marginale ». Dans l’ouvrage, il montrera encore comment, aprés l’avènement du plan Marchal et l’écoulement des surplus américains vers l’Europe, le capitalisme s’est servi des dehors de la contestation pour imposer ses modèles et liquider la société bourgeoise qui lui faisait obstacle : les jeunes, le rock, la bande, le « rebelle » contre la famille et ses valeurs.
Les catégories artificielles ainsi créées (par le vêtement, la musique, les héros générationnels, le cinema et les accessoires) préfigurent et dessinent déjà les futurs consommateurs et l’individualisme consumériste. Dans une traque impitoyable aux signes extérieurs de cette société post-moderne du désir et de la séduction, le philosophe n’épargnera rien, en passant encore par ces nouvelles machines américaines venues changer le rapport au temp libre et proposer d’en acheter : le flipper, le juke box et l’argent dépenser frivolement dans une société fondée sur la valeur travail. Le propos est marxiste, corrosif, anticapitaliste, et quoiqu’on en pense, l’essai de Clouscard reste un ouvrage majeur sur cette période de transition venue d’Outre-Atlantique est qui a consumé, de l’après guerre à nos jours, une partie de la vieille Europe d’avant.